vendredi 24 avril 2009


Défendre la démocratie
Alors que s'installait en 1968 une chambre des députés dénommée « bleue CRS », nous avions pris l'habitude de crier : « Élections, piège à cons ». Aujourd'hui, nous nous devons d'être bien plus raisonnables et de mesurer à chaque rendez-vous électoral les progrès de la démocratie grâce à un démocratomètre.
Premier commandement : il n'y a pas de pays démocratique sans élections libres. Deuxième commandement : si tu as 50, 01 des voix tu es élu. Et cela même si les abstentions frisent les 70%. Certains dirigeants se croyant loin de toute attention médiatique ont longtemps repoussé les élections à des périodes lointaines, sous prétexte qu'ils ne jugeaient pas leurs peuples mûrs pour élire des compétences. Aujourd'hui, le vote régulier est aussi obligatoire que le contrôle technique pour les véhicules. Si un président l'oublie, il a sur le dos toute la honte internationale. On ne le reçoit plus à l'Élysée qu'à la tombée de la nuit, la Maison Blanche ne répond plus, le Vatican fait la sourde oreille et la reine d'Angleterre est partie sans laisser d'adresse. C'est ainsi que les plus finauds ont vite compris qu'il fallait se mettre à organiser des élections. La plupart se sont laissés convaincre à condition qu'ils n'aient pas de candidats sérieux en face. Le scrutin est surveillé par l'ONU, le F.M.I., l'O.T.A.N., la Croix Rouge, l'UNICEF et les contrôleurs de l'Union Européenne, les plus sévères parce que particulièrement compétents en démocratie libre. Ils vérifient qu'il y a bien une fente sur le dessus de l'urne et qu'il n'y en a pas en dessous, que les bulletins ne collent pas aux doigts au point qu'on ne puisse pas s'en débarrasser. Bref, du travail soigné. Le président-candidat est alors réélu aussi régulièrement que triomphalement. Et on le retrouve toujours gaillard à des 87 ou 92 ans sur le trône déguisé en chaise présidentielle.
Certains ont voulu compliquer un peu la vie politique en limitant le nombre de mandats. Trois maximum. Alors, le président-candidat dit qu'il est d'accord et dès qu'il est élu, il fait changer la loi et demande que soient trois mandat minimum. Il a le droit de changer la loi puisqu'il est élu.
Maintenant, examinons le cas d'une opposition qui aurait des chances d'arriver au pouvoir si on laissait ce peuple inexpérimenté s'exprimer sans le guider. Alors, les stratèges en pouvoir présidentiel ont inversé le processus. Au lieu de dire : « Si vous donnez plus de 50% des voix, on reste au pouvoir », ils disent au peuple : «Nous resterons au pouvoir. Arrangez-vous donc pour qu'il y ait plus de la moitié des votants en notre faveur, sinon je ne vous dis pas les complications. » Dans ces cas-là, bien sûr, on prend des précautions. On ne fait pas voter n'importe qui et les bons électeurs peuvent éventuellement voter plusieurs fois. Les contrôleurs internationaux émettent des doutes, mais ils ne sont pas non plus complètement sûrs que tout était truqué, ils refusent de valider la proclamation des résultats, mais ils comprennent aussi que l'hypothèse selon laquelle le président est réélu « est réaliste » et ils promettent de faire mieux la prochaine fois. De temps en temps, malgré toute cette minutie dans la préparation, c'est quand même l'opposition qui gagne. Et cela cause bien entendu du désordre. Les deux clans se traitent de menteurs et d'arracheurs de dents. L'armée est alors obligée de s'en mêler. Un jeune colonel prend la télévision et explique qu'il rendra le pouvoir aux civils un peu plus tard, mais que rien ne change et certainement pas le déroulement de la soirée télévisée.
Évidemment, les démocraties occidentales font les gros yeux. Elles n'aiment pas trop ce genre d'opérette militaire. Elles exigent que l'armée promette des élections et elles promettent que l'armée exigera des élections. L'armée se renseigne sur ce que peut bien vouloir signifier le mot « élections » et répond courtoisement aux pays qui mettent leur nez où il n'y a rien à sentir : « Des élections, c'est une bonne idée; cela amusera la population. Mais seulement quand la population aura suffisamment travaillé au rétablissement de l'économie du pays et ça, franchement, on ne peut pas vous dire exactement quand. »
J'entends déjà les commentaires de ceux qui se disent que ce n'est pas par chez nous que tout cela pourrait se passer. Bien sûr, mais sont-elles définitivement périmées les méthodes de l'avionneur Marcel Dassault qui emmenait les vieux des hospices en autocar pour une visite des bureaux de vote et qui leur mettait le bon bulletin dans la main? Ou celle des Tibéri qui inventaient chaque jour de nouveaux électeurs comme d'autres créent des néologismes rien qu'en humant une brise printanière? Et le charcutage électoral est-il passé de mode? Défendre la démocratie, ce n'est pas un petit boulot, un emploi saisonnier, c'est un travail à plein temps.

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