vendredi 16 octobre 2009

Fin politique


En 1968, quand j'étais à l'Université, j'avais rencontré un étudiant qui ne faisait pas de politique. Nous l'observions avec curiosité et parfois même il faisait pitié. De Gaulle et les grèves, il ne voulait pas entendre parler. Il était étudiant et il voulait ETUDIER. Quand on lui tendait un tract, il rétractait brusquement son poignet de façon à ne pas le prendre. On lui aurait tendu une torche enflammée, il l'aurait prise avec plus d'empressement. Il était sourd aux slogans et invisible aux manifestations. De notre côté, nous pensions avec Montalembert : Vous avez beau ne pas vous occuper de politique, la politique s'occupe de vous tout de même. .
Aujourd'hui, c'est celui qui fait de la politique qui est devenu une bête curieuse et souvent sujet aux moqueries du groupe. En réalité, tout est fait pour un désengagement de tous et particulièrement de la jeunesse. Assurément, la trahison de la bureaucratie stalinienne a joué son rôle. Dans l'Europe de l'Est, par exemple, les étudiants ont été dépolitisés. Je me souviens avoir discuté avec un jeune de l'Université de Craiova qui m'annonçait fièrement : «Je suis du parti vert!»
«Ecologiste?» ai-je demandé. «Non» a-t-il ajouté en me montrant un billet de 50 dollars. Son parti vert était le dollar.
Le 30 septembre dernier, sur la radio France-Inter, des étudiants chinois sont interviewés : «Entre nous, nous ne parlons jamais politique; le gouvernement s'en occupe très bien tout seul.» Voilà la réalité. La politique doit être confiée à des professionnels. Vous n'avez plus qu'à choisir entre le camp A et le camp B. De fait, le candidat A et le candidat B étaient à l'origine très différents; tout les opposait. Et puis, avec le temps... Le fait aussi de se fréquenter, de se tutoyer, de prendre ensemble un verre à la buvette de l'Assemblée Nationale ou du Sénat, cela fait qu'aujourd'hui il faut des journalistes extrêmement spécialisés pour distinguer les idées de droite de celles de la gauche, les projets conservateurs des programmes socialistes, les lois libérales des décrets démocrates.
Les politiciens ont par ailleurs tout intérêt à ce que le reste de la population se désintéresse de la politique. Ils restent entre eux, dans leur pré carré. Ils cumulent les mandats et les situations de rente. Mais l'urgence est d'éloigner en priorité le jeunesse de la vie politique. «La jeunesse est le fer de lance de la révolution», on le sait bien. Il ne faudrait pas que les étudiants apprennent que le mot politique vient du grec et qu'il signifie à l'origine : organisation de la cité. Il ne faudrait pas non plus rappeler ce qu'écrivait Aristote : «L'homme est naturellement un animal politique.» Déjà on remarque que partout en Europe les présidents, les ministres, les responsables «au plus haut niveau», ces gens-là, on les connaît depuis belle lurette, et certains depuis très belle lurette. En France, en 1981, un tiers des députés avaient moins de 40 ans. Ce pourcentage est tombé en 2002 à 4,2 %. C'est un signe qu'on donne aux jeunes : «N'espérez rien avant 55 ans.» «Et puis regardez dans quel état est la planète! Engagez-vous dans la lutte contre le réchauffement climatique, contre la disparition des espèces menacées (le Rhin et le Danube sont à ce point pollués que les poissons toussent) et pour le ramassage des papiers gras, cela sera plus utile que de vous inscrire dans un vain combat politicien.» Comme si le désastre écologique n'était pas dû avant tout à des décisions politiques. De plus, le qualificatif politicien, toujours péjoratif, vient à point nommé pour donner le dernier coup et dévaloriser toute attitude de révolte ou de contestation. Déjà la définition du qualificatif politique à travers les siècles est instructif. Depuis une origine noble (qui est relatif aux affaires publiques ), l'acception évolue au cours des siècles et le terme devient plus douteux. On dit qu'un fin politique est quelqu'un de rusé et adroit, qui s'accommode à l'humeur des personnes qu'il a intérêt de ménager, qu'il est prudent et réservé. Ce n'est vraiment plus très engageant, surtout pour un jeune qui a envie de passer à l'action.
Dans le passé, quand la jeunesse était par trop turbulente, il y avait toujours une guerre pour calmer ses ardeurs et pour la transformer en chair à canon. Aujourd'hui, on se sert plutôt de laxatifs. Et surtout ne faites pas de politique, l'Etat s'en charge si bien.

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