vendredi 23 avril 2010

Eros, c'est la vie!


Aujourd’hui, on ne peut plus ouvrir un magazine, féminin ou pas, qui ne s’intéresse pas à votre sexualité. Toutes les chaînes de télévision se font, l’été venu, plus aguichantes les unes que les autres, proposant des programmes les plus dénudés possibles, surtout intellectuellement. Il y a quelques années, on voyait sur les affiches de Paris un banquier qui s’exclamait dans un grand élan de sincérité : Votre argent nous intéresse. Aujourd’hui, on a l’impression qu’on nous dit : Puisque vous n’avez plus d’argent à cause de la crise, votre sexe nous suffira pour l’instant.
On vous veut libérés, décontractés, modernes, désinhibés. Mettez votre pantalon sur la chaise et votre libido sur la table, je me lave les mains et je m’en occupe immédiatement. Dites-moi vos fantasmes, je vous dirai si vous en avez les moyens. Maintenant, les journalistes demandent aux hommes politiques s’ils trompent leurs femmes. Évidemment que l’homme politique préfère répondre de cette tromperie, que de l’immense mensonge stalinien ou néo-libéral. C’est-à-dire que l’érotisme dans cette société n’est rien d’autre qu’un cache-misère. On est loin de Georges Bataille, qui stigmatisait le fait que l’érotisme est l’approbation de la vie jusque dans la mort ou des surréalistes qui en donnaient la définition suivante : Cérémonie fastueuse dans un souterrain. Malheureusement, on parle davantage aujourd’hui de viol sinistre dans une cave.
Dans l'autre moitié de la planète se trouvent bien sûr les pudibonds qui appellent la police chaque fois qu’ils voient une fille déshabillée et qui tirent sans sommation si c’est un homme nu. La majorité silencieuse s’arme d’un pistolet tout aussi silencieux. On se partage le public et les sondages. Les débats sont passionnés : Bien sûr qu’il faut interdire. Non, il ne faut pas interdire! Les films pornos sont la conséquence de la décadence de notre société! Non, c’est la décadence qui est la conséquence des films porno! Ou la conséquence qui est la décadence des films pornos! Ou la décadence de la conséquence... Au nom de la vie, les mêmes personnes veulent rétablir la peine de mort et interdire l’avortement, parce que Dieu ne l’a pas pratiqué sur Judas, alors qu’il avait de bonnes raisons de le faire.
Tout ce qui touche au sexe génère des fonds de commerce florissants, qu’ils s’agissent des revues feuilletées ou des films regardés tristement par des hommes seuls ou en groupe, mais honteux de l’être. Ils sont honteux d’être homme, honteux d’être seuls ou en groupe, honteux d’être honteux. Qu’il s’agisse de ces comiques grassement payés de leurs plaisanteries grasses. Qu’il s’agisse de ces émissions de télévision aux fausses audaces et au voyeurisme évident. Alors, naturellement, chez des personnes en perdition, vient l’idée qu’on pourrait échapper à la misère en vendant son cul. Mais s’ils vendent leur cul, c’est pas pour le cul, c’est pour l’argent. L’obscénité, c’est là qu’il faut la chercher. D’autres préfèrent vendent leur âme, ça se voit moins.
Je me souviens des polémiques interminables lors de notre spectacle «Hai sa facem sex!» (Faisons l'amour!) de l‘auteur russe Valentin Krasnogorov. La mairie de Iasi se mobilisant pour arracher les affiches qu'elles avaient pourtant payées et le responsable de la communication m'expliquant qu'il est interdit de proposer ce titre à la population. Je lui ai demandé si le titre «Faisons la guerre!» était toléré; il m'a répondu qu'il n'y aurait aucun problème. C’est vrai qu’il y a des gens qui ne supportent la vue d’une personne nue que si elle est mutilée. Toute une ville en ébullition rien qu'à cause du titre, puisque la pièce était encore en répétition. Certains se scandalisaient de la proximité de la fête de Noël pour mettre en scène une telle oeuvre et supposaient que c'était intentionnel de ma part. Nous avons donc transformé « Hai sa facem sex! » en «Hai sa facem ...» (Faisons...). Le public est venu en masse et la pièce s‘est jouée plusieurs années de suite.
Quelques uns, heureusement, nous disent joliment : Éros, c’est la vie! Dans la mythologie grecque, Éros est le dieu de l’Amour. C'est un Dieu délicat, nous dit Aristophane, qui « marche et se repose sur les choses les plus tendres » et « s'éloigne des cœurs durs ». Il est formé d'une essence subtile et ne peut recevoir aucune offense; il est de la plus grande tempérance. C'est le plus fort des Dieux et il est très habile, car il rend poète celui qui est inspiré par lui. Nous sommes loin des salles obscures du biseness porno et de l’obscurantisme des mentalités primitives. Oui, vraiment, Eros, c’est la vie; et tous les partisans de la censure exhalent le souffle âcre de la mort.

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