samedi 23 janvier 2010

Souvenirs d'Haïti


Je ne remercierai jamais assez Paul Lévy, alors directeur de l'Institut Français de Port-au-Prince, de m'avoir invité à plusieurs reprises en Haïti, Là-bas, j'ai pu travailler avec des comédiens et participer deux fois au festival des Quatre Chemins. Je garde le souvenir d'une expérience surprenante et exaltante. La première fois, en 2004, la situation était difficile. A l'aéroport, j'ai vu un écriteau au-dessus d'un seau de sable et il était écrit : «Vous devez décharger votre arme ici». De la même façon, on pouvait lire sur la porte des banques : «Il est interdit d'entrer avec des armes.» La nuit, il était courant d'entendre des coups de feu. Il fallait se renseigner sur les itinéraires pour gagner l'autre bout de la ville. Nous pouvions être interceptés à tout moment et servir d'otages. Les enlèvements représentaient un commerce très fructueux. Seules quelques rues dans le centre de la ville nous étaient accessibles. Au delà, nous engagions notre responsabilité. Néanmoins, les gens de la rue nous considéraient avec une grande gentillesse. Monter des spectacles dans ces conditions étaient une gageure. Pourtant en 2006 et 2007, les organisateurs ouvrirent le festival par une parade qui traversa la ville. Les autorités étaient contre cette initiative. Mais tout s'est bien passé et le cortège, qui comptait quelques centaines de personnes à son point de départ, arriva à l'Institut Français grossi de quelques milliers de jeunes étonnés et ravis. Nous sommes allés également en province et nous avons pu constater la difficulté de vivre et de circuler. Une route était coupée par un torrent de boue et un homme déblayait avec une pelle. Il fallait le payer directement pour pouvoir passer.
Je me souviens de l'accueil réservé aux pièces que nous présentions en plein air. Une foule nombreuse, un public fantastique, alors que beaucoup pouvaient craindre de rentrer chez eux dans la nuit. Les comédiens m'ont aussi impressionné par leur talent bien sûr (certains ont même été invités en Europe), mais aussi par leur capacité à faire abstraction de tous les problèmes. J'aimais leur vitalité et leur envie de rester en Haïti pour servir par leur art leur pays.
Les années suivantes, la situation s'était grandement améliorée. La sécurité était rétablie dans la majeure partie de la ville. D'ailleurs de l'avis de tous, le pays se rétablissait lentement, mais régulièrement et dans tous les domaines. Et c'est alors que vient ce tremblement de terre qui nous bouleverse au-delà de tout. Bien entendu, il a fallu qu'un religieux en vogue aux Etats-Unis explique que le séisme dévastateur de Port-au-Prince serait la conséquence d'un "pacte avec le Diable" passé par les Haïtiens il y a deux siècles pour se débarrasser des Français.

Gens accroupis
et eau croupie
un peuple se tasse
s’entasse
comme pour se faire
pardonner d’exister.
Sur le mur blanc
en lettres rouges :
« Haïti tend les bras
et crie pitié »
Des regards qui en disent long
un œil qui vous défie
et l’autre qui vous invite
à entrer et à danser
Mais entrer où ?
Puisqu’on vit dehors
et en dehors de tout.
Le bruit des génératrices !
Il faut choisir : le silence ou la lumière.
Assourdissante cité
comme un gros bourdon
pris dans une toile d’araignée
Gens accroupis
et eau croupie
Les enfants des écoles
ont la tête décorée
de boules colorées
Rien à manger, alors
allons nous coiffer.
Et puis les soirs d’orage
les fleuves de boue
détruisent les rues et l’espoir
de ceux qui sont debout
et qui se grandissent
pour regarder l’eau d’un peu plus loin.
La pluie en ville n’est d’aucune utilité
surtout cette pluie jamais civilisée
Le lendemain, c’est double travail
L’Haïtien met la main sur les ordures
Quand l’Européen ne sait où mettre le pied
Gens accroupis
Et eau croupie
Un tap-tap bondé s’élance
Jésus-Christ est au volant
Il croise Saint-François en moto
En fait c’est toute la bible
qui a débarqué un beau jour
pour une cérémonie vaudou
Apôtres et saints courent les rues
Ce sont eux les princes du port
Le loto «Fils éternel » fait le plein
Gens accroupis
et eau croupie
Un peuple se tasse
et moi qui passe
Je ne suis déjà plus étranger
Déjà ma peau n’est plus blanche
et la main qui prend ma main
me convertit, me créolise.

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