vendredi 8 janvier 2010

Le footballeur d'aujourd'hui est le castrat d'hier


Etre castrat était devenu l’objectif de nombreux jeunes garçons italiens, encouragés par leur famille, et chacun rêvait d’être sous la responsabilité du célèbre Nicolo Propora, fondateur de l'école de musique de Naples. Mais la parfaite maîtrise de l’art, et la réussite de ces études restaient excessivement rares et exceptionnelles : sur 4000 jeunes garçons émasculés par an à Naples au XVIIIe siècle, combien ont obtenu le succès fou d’un Farinelli ? L’inverse est également valable : combien ont fini leur vie inconnus et plein de regrets, ne pouvant réparer l’irréversible ?
Si les castrats sont victimes de ce paradoxe dans la société, ils le sont aussi dans l’Eglise. Sollicités d’abord par cette dernière, la castration viole pourtant toutes les lois de la religion catholique, puisque la théologie affirme que nous ne sommes pas propriétaires de notre corps, mais gardien de ce que Dieu nous a donné. L'Eglise, nous l’avons vu, gagne considérablement grâce à cette pratique. D’abord, très souvent, les chanteurs castrés sont voués à la vie ecclésiale, puisque leur émasculation est des plus bénéfiques en cas de tentation – l’éthique religieuse luttant pour prévenir les relations sexuelles hors mariage. En outre, ces chanteurs de qualité dans les églises garantissent une plus grande assiduité des fidèles, et donnent une grandeur incomparable à la religion chrétienne. L’Eglise fermait les yeux parce que les émasculations étaient souvent justifiées par des causes accidentelles ou d’ordre médical - une des motivations les plus en vogue est la morsure de cygne ou d'une bête sauvage. Farinelli, lui, se justifia par une chute de cheval. A l'époque, nombreux sont les mécènes qui prennent en charge de jeunes chanteurs, les castrent alors qu'ils ont entre 6 et 8 ans et les font travailler à un rythme effréné. Malheureusement pour la grande majorité, après les rêves de gloire, le réveil est brutal. Il ne suffit pas d'être castré pour avoir une voix superbe. Alors, à 14 ans, les gamins sont chassés de l'école et ne peuvent s'adapter à la société qui les méprise.

Etre footballeur est devenu l'objectif de nombreux jeunes garçons africains, encouragés par leur famille, et chacun rêve d'être sous la responsabilité du célèbre Jean-Marc Guillou, fondateur de l'école de football d'Abidjan. Mais la parfaite maîtrise du sport et la réussite dans le milieu du football restent excessivement rares et exceptionnelles. Sur 4000 jeunes Africains envoyés chaque année en Europe, combien ont obtenu le succès fou d'un Eto'o ou d'un Drogba? L'inverse est également valable : combien finissent dans la misère?
Difficile de maîtriser un business qui s’étend bien au-delà de l’Afrique. Difficile de réglementer le métier d’agent lorsque, pour 100 agents agréés par la Fédération française de football, 2 000 autres travailleraient dans la clandestinité, sans compter les intermédiaires, les recruteurs locaux et les relations qu’ils entretiennent avec les dirigeants des clubs professionnels. En Afrique, les associations sportives non affiliées poussent comme des champignons et accueillent des joueurs mineurs en dehors de tout cadre juridique administratif. Les parents s’endettent pour payer à leurs enfants des formations sans aucune garantie, les déscolarisent et, dès que l’occasion se présente, donnent leur accord pour un départ du mineur vers l’Europe. Les enfants sont désormais détectés entre 6 et 8 ans. Les parents, sur le conseil même des églises, sont rassurés par le fait que leurs enfants feront du sport et seront donc éloignés de l'alcool, des drogues et de l'oisiveté. Nombreuses sont les écoles de football qui prennent en charge ces jeunes et les font travailler à un rythme effréné. Malheureusement pour la grande majorité, après les rêves de gloire, le réveil est brutal. Les uns sont abandonnés à la première blessure, les autres ne s'adaptent pas au climat plus rude de la Belgique ou de l'Allemagne. Ils finissent, parfois handicapés, comme gardiens de stade ou même clochards, inadaptés à une société qui les ignore.

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