samedi 21 février 2009


Vive la compétition!

L'idée de nos élites au pouvoir, c'est qu'il faut tout traiter sur le mode sportif. En effet, il faut être compétitif. Alors on demande aux hôpitaux, aux universités d'entrer en concurrence. Ainsi, l'hôpital de telle ville est premier pour la leucémie, mais n'y allez pas en cas de crise cardiaque : il est avant-dernier et se fait siffler par tous les malades du cœur. Dans cette université, les diplômés en histoire sont géographiquement les meilleurs du pays. Mais en médecine, ils sont tellement nuls qu'ils vont aller dans l'hôpital le plus nul de la ville la plus nulle. Alors, pour cela, il faut transformer les recteurs d'universités et les directeurs d'hôpitaux en chefs d'entreprise. Avec comme première mission de rentabiliser les études et les étudiants, les maladies et les malades.
Bien sûr, il faut être imaginatif. D'abord, faire entrer le monde économique dans les établissements avec une idée fixe : dérèglementer. C'est fou ce que c'est moderne le dérèglement! Finis les vieilles rengaines, les statuts archaïques, les acquis sociaux, le service public. Il est nécessaire, pour être moderne, de privatiser. Ce qui a constitué la raison d'être d'un pays, ce qui lui a donné son unité et son histoire, c'est précisément le service public. A savoir, quels que soient vos moyens financiers, quel que soit l'endroit où vous habitez, vous devez profiter des mêmes services.
J'ai vu souvent en Roumanie cette annonce dans les journaux : "Recherche sponsor pour une opération chirurgicale". Voilà donc que cette privatisation passe dans les faits. On peut imaginer que les chirurgiens feront en sorte que la cicatrice soit en forme de logo.
En France, les chercheurs et les universitaires s'époumonent à crier que le savoir n'est pas une marchandise. Mais il faut faire attention à ce que l'on dit et surtout à quels interlocuteurs on s'adresse. On entend déjà la réplique des gouvernants actuels : "Ou c'est une marchandise, et on s'en occupe. Ou ce n'est pas une marchandise et alors ça ne nous concerne pas. Et si on ne s'en occupe pas, pas un sou!"
Le sport, c'est différent. Il faut voir avec quel empressement et quelle délectation les chefs d'état reçoivent les médaillés olympiques, les champions du monde, les recordmen : "Messieurs, Mesdames, je vous dis merci au nom du pays. Vos performances, qui allient le génie à l'entraînement quotidien, devraient inspirer nos entreprises. Et dans entreprises, il faut y intégrer les hôpitaux et les universités. Si un chirurgien prend modèle sur vous, il fera une opération de l'appendicite en 12 minutes, 26 secondes et 7 dixièmes, ce qui constituera un record mondial dont nous serons fiers et surtout il pourra faire 18 opérations au lieu de 15 dans la journée. De même, en pensant à vos records, l'enseignant accueillera 45 élèves dans sa classe au lieu des 30 privilégiés habituels et ainsi nous réconcilierons sport de masse et sport d'élite, dont vous êtes les plus beaux fleurons!"
Les présidents reçoivent plus volontiers des sportifs que des hommes de culture qui ne se pressent pas trop pour répondre aux invitations. Bien sûr, il y a toujours quelques écrivaillons qui s'approcheront du buffet bien garni et le gouvernement leur décernera force titres et décorations. L'écrivain barcelonais Luis Goytisolo explique qu'on surestime ainsi ceux qui viennent pour rééquilibrer le grand nombre et les grands talents qui ne mettent pas les pieds dans les salons dorés. Il fait une comparaison avec un fait historique. Lors de la guerre de Cuba, en 1898, les armées espagnoles et américaines s'affrontèrent. Comme la Marine espagnole était très inférieure, un député espagnol proposa qu'on change les dénominations des navires. Ainsi les croiseurs devaient être appelés cuirassiers, les destroyers des croiseurs, les canonnières des destroyers et cela jusqu'aux chaloupes devenues soudainement corvettes. C'est ainsi qu'on invite souvent à l'Élysée et à Cotroceni des canots de sauvetage qu'on baptise porte-avions.

Aucun commentaire: