samedi 7 février 2009


Il va y avoir du sport, rien de plus.

Cette façon d'appliquer le vocabulaire sportif au monde politique est une pratique irritante qui s'étend dans tous les pays. Ainsi nous lisons en France : "L'ancien Premier ministre Laurent Fabius (PS) a invité ce matin les Français à sortir "un carton jaune" au gouvernement et au président de la République". "Le président siffle la fin de la prolongation." "Carton rouge au président de l'Assemblée." En Roumanie, le fait est encore plus courant : "Cartonaş roşu pentru Blaga. Cartonaş galben pentru Băsescu?" (attention! il n'est pas question de Lucian Blaga, le poète, mais de Vasile Blaga, l'homme politique). Le journal Adevarul du 11 novembre 2008 titre même : "Encore un carton rouge pour la Roumanie". L'explication est la suivante : Les investisseurs ont décidé de rétrograder la Roumanie dans la seconde division, celle des nations pour lesquelles "le risque spéculatif est important".
Il semble donc que notre vie se passe sur un immense terrain de football et que les résultats du weekend-end sportif soient les seuls qui intéressent l'humanité. Alors si la politique, qui, dit-on, ennuie nos concitoyens, veut une petite place, il faut qu'elle se plie aux règles et à la discipline sportive. Pourtant, à y regarder de plus près, il existe des différences entre un footballeur et un ministre. A y regarder de près évidemment, parce qu'a priori, les différences ne sautent pas aux yeux. On assiste aux mêmes transferts d'un club à l'autre, d'un parti à un autre. Quant on dit d'un attaquant qu'il est opportuniste, c'est plutôt une qualité. Dire d'un homme politique, qu'il est opportuniste, c'était, jusqu'à une époque récente, plutôt un défaut. Aujourd'hui, c'est moins sûr.
Il y a aussi les mélanges organisés par les individus eux-mêmes. Ainsi Becali en Roumanie et Tapie en France ont été en même temps sur le terrain de sport et le terrain politique. Avec les mêmes magouilles et ce même populisme, qui permet de déchaîner la fureur ou la haine des supporters, ils se sont institués maîtres du jeu politique. Avec ce raisonnement : "Mon club a gagné; il va falloir compter sur moi aux prochaines élections!", on peut aller très loin. Et on les respecte parce qu'on sait qu'ils ont derrière eux des hordes sauvages qu'on peut manœuvrer. Les maires se dépensent sans compter pour l'équipe locale et laissent crever les institutions de culture, simplement parce qu'ils sont convaincus qu'il y a plus de monde dans les stades que dans les salles de théâtre. J'avais appris que, directeur de l'Ateneu, j'avais le même salaire qu'un junior de Poli Iasi, d'un junior qui n'était jamais entré dans l'équipe première.
Mais ce qu'il faut bien comprendre dans cette standardisation de la vie politique maintenue dans le vocabulaire sportif, c'est surtout qu'il est représentatif de la mentalité actuelle. D'abord, elle démontre un recul de la culture politique. Auparavant, on prenait ses références dans l'histoire, et surtout dans l'histoire du mouvement ouvrier. Ensuite, il est évident qu'à travers l'utilisation du langage footballistique, il ne s'agit pas pas de changer de jeu, de jeu de société, encore moins de société. On fait passer l'idée que les règles du jeu sont immuables, éternelles. Comme l'a dit Sarkozy, on ne remet pas en cause le capitalisme, on le "régule". On peut distribuer de temps à autre un carton jaune, mais hors de question de quitter le terrain de jeu. Voilà pourquoi cette façon de représenter la vie politique par l'imagerie sportive est symptomatique d'une vision au mieux (ou au pire) réformiste. Il faut un arbitre accepté par tous pour siffler la fin des grèves, la dissolution des manifestations, la reprise du travail et des bénéfices. Tant que l'opposition se contente, comme Fabius, d'adresser un carton jaune au gouvernement, elle signifie qu'elle accepte toutes les règles que le pouvoir lui impose. Une autre société n'est même pas imaginable pour quelqu'un qui est prêt à obtempérer au premier coup de sifflet et à échanger son maillot avec celui d'en face.

Aucun commentaire: