jeudi 17 juin 2010

Football?


Les inégalités se creusent entre riches et pauvres en Afrique du Sud. Et l'écart est encore plus marquant entre Noirs et Blancs. Depuis la fin du régime ségrégationniste, le revenu mensuel moyen des Noirs a augmenté de 37,3 %, celui des Blancs de 83,5 %. Des données qui ont fait dire à Haroon Bhorat, économiste de l'université du Cap, que l'Afrique du Sud est «la société la plus inégalitaire au monde». On constate donc que la fin de l'Apartheid ne signifie pas du tout l'apparition d'une société réellement démocratique. En réalité, il apparaît clairement que le régime de ségrégation raciale devenait obsolète et suscitait un tollé de protestations au nom des grands principes. Bref, on n'en avait plus besoin et on pouvait asseoir une domination sans ces oripeaux. De même, les régimes staliniens sont tombés parce qu'ils étaient devenus inutiles pour conserver le pouvoir. Le capitalisme règne aujourd'hui en Chine sans pour autant qu'on puisse parler d'avancées démocratiques. Après la seconde guerre mondiale, il était absolument nécessaire de construire des régimes autoritaires, au point de s'y accrocher en construisant des murs comme en Allemagne de l'Est. Avec le temps, le capitalisme financier a pris une telle ampleur et une telle complexité que les Etats démocratiques n'ont plus besoin de couverture pour imposer leurs mesures anti-démocratiques. La mondialisation a brouillé toutes les cartes.
Et d'ailleurs pourquoi parle-t-on aujourd'hui de l'Afrique du Sud? Parce qu'il s'y déroule la Coupe du Monde de football. Sachant qu'il va être question de matches tous les jours pendant un mois, il est assez étonnant de constater qu'au lieu de parler d'autres choses, tous les médias n'ont plus d'autres sujets d'actualité. En attendant que commence la compétition, on nous fait visiter l'hôtel où logent les joueurs. On ne nous épargne aucune des plus petites blessures, ni même les intoxications alimentaires. On sait que certains entraineurs acceptent que leurs joueurs sortent avec des entraineuses, et d'autres non. Tout a été fait en temps et en heures pour que nous puissions jouer également par l'intermédiaire de paris sur les résultats. Les hommes politiques sont sollicités pour donner leurs pronostics. Les émissions culturelles rappellent qu'Albert Camus fut gardien de but. Effectivement, tout tourne autour du ballon. Et c'est assez symptomatique de ce qu'il se passe aujourd'hui dans tous les domaines : il faut créer l'événement. Ainsi il devient impossible de trouver des billets pour certains spectacles, alors que les salles sont quasiment vides pour les autres. Il n'y a plus d'alternative.
Mais la mondialisation n'élimine pas toute forme de nationalisme. On le vérifie avec ce «Mondial». Il est d'ailleurs curieux de constater que les meilleurs clubs de football européens sont complètement composés de mercenaires étrangers. Ainsi on assiste à cet étrange spectacle de tifosi applaudissant leur équipe, l'Inter de Milan, dans laquelle ne figure aucune Italien et insultant pendant 90 minutes les italiens de l'équipe d'en face. En France, le gouvernement est devenu très sensible à tous les manques de respect pour le drapeau et l'hymne national. Le ministre de l'Intérieur demande des lois vigoureuses pour toute insulte contre ces symboles; même les artistes seront soumis à ces dispositions et risqueront la prison. On a interdit une exposition parce qu'une photographie montrait un jeune homme s'essuyant le derrière avec le drapeau français. Quand je pense à ce qu'on faisait sur scène avec le drapeau et la Marseillaise dans les années 1970, je me dis qu'il y a bien des libertés qui ont disparu. Même au Moyen-Age, on avait plus de liberté, il suffit pour s'en convaincre de lire le Roman de Renart :
«Renart a arraché son drapeau et il crie: «Sire roi, voilà votre chiffon! Que Dieu maudisse le bougre qui m’a encombré de cette loque!» Il s’en torche le derrière sous les yeux des bêtes, puis la leur jette à la tête […].»
Le parjure de Renart est ici d’autant plus grave qu’il s’agit d’un engagement religieux. A une époque où la majeure partie de la population croyait à l’enfer et au paradis, son geste est doublement abominable car il manque à sa parole et à sa foi: il montre par là qu’il ne craint véritablement rien, pas même la damnation. Renart est un affranchi, un être libre de toutes les chaînes que peuvent s’imposer ses ennemis, raison pour laquelle il leur est si redoutable.

Aucun commentaire: