vendredi 18 septembre 2009

Bucarest, hier et aujourd'hui


En 2006, paraît "Bucarest, le dégel" (éd. Autrement), un livre essentiel de Mirel Bran, illustré par des photographies de Franck Hamel. Ce sont des entretiens captivants avec 24 personnalités, qui vivent dans la capitale roumaine. Et Mirel Bran nous rappelle que Paul Morand écrivait en 1935 :" C'est avec des cités rasées, des églises détruites, des archives étouffées, que la Roumanie se présente devant l'histoire. La leçon que nous offre Bucarest n’est pas une leçon d’art, mais une leçon de vie ; il enseigne à s’adapter à tout, même à l’impossible."
En effet, il est toujours instructif de lire ce que les écrivains pensent de nos villes. Ulysse de Marcillac, auteur français bien oublié, fait paraître en 1869 "La peste à Bucarest", tout un programme; mais la plus violente image l'auteur nous la réserve à la dernière page de son livre. Il y dit son souhait de nous parler des cimetières. Et Ulysse de Marcillac commence par nous confier qu'il ne connaît pas "un autre pays où la mort serait traitée avec autant d'attention qu'à Bucarest". Puis il en vient à cette observation: "Il existe des centaines de vieux cimetières, autant que d'églises. Ce sont comme de petites cours ouvertes à tous les passants et parfois entourées de petites maisons, logements habituels des prostituées. La mort et la volupté sont deux sœurs proches chez les roumains."
Michel del Castillo dans le roman "Mort d'un poète" (1989) fait parler son héros Igor Védoz :
« La capitale de notre radieuse République offrait déjà l’aspect désolé d’une ville sinistrée. Éclairage anémique qui laissait des rues entières, remplies de ténèbres inquiétantes. Les passants couraient, courbés, emmitouflés dans des vêtements usés et rapiécés, amas de loques enfilées les unes sur les autres, tournaient en rond, évoquaient des meutes de chiens affamés. Difformes, les silhouettes avaient perdu jusqu’à l’apparence de l’humanité. Un peuple de fantômes. Chaussées défoncées, creusées d’ornières où l’eau de pluie stagnait. Aucune enseigne ou presque. Les devantures des boutiques, vides, renvoyaient des reflets bleuâtres. Dans les cités ouvrières, on apercevait les écrans de télévision où le Lumineux Guide prodiguait, comme chaque soir à la même heure, ses conseils diététiques. Moins de viande et de matières grasses, aucun sucre ou presque…"
Miguel Sanchez-Ostiz, auteur espagnol, tient un blog et dans un de ses derniers articles en 2008, il écrit : "Que se passe-t-il dans la très chaotique cité de Bucarest? Il y en a beaucoup qui donneraient tout pour être américain avec toutes les conséquences que cela implique. Il n'y a qu'à voir le nombre de personnes qui font la queue devant le Consulat américain pour obtenir visas et permis divers. Le Roumain peut apporter au style de vie américain sa légendaire débrouillardise, je ne le conteste pas, mais aussi son goût pour la police et les compagnies de sécurité renforcées par des gros durs qui n'ont aucune considération pour leurs concitoyens. A Bucarest, les écoles de bodyguards sont florissantes. C'est l'industrie de notre époque. Nous ne sommes plus loin des polices privées et des corps armés au service du particulier. L'Autorité commande, mais l'arbitraire aussi. La droite roumaine monte et marque des points dans un pays où le mot qui revient le plus souvent dans les conversations est "Mafia", et où le contraste entre le luxe et la vie misérable est de plus en plus évident. La droite est la même que partout ailleurs : autoritaire, néolibérale, et bien entendu amie des graaaaaandes libertés, mais aussi orthodoxe, nationaliste, brutale. On trouve même à l'Université des étudiants qui se présentent ainsi : Roumain orthodoxe, pour qu'il n'y ait pas le moindre doute sur leur identité. Une curieuse droite et une toute aussi curieuse classe de dirigeants politiques dont il ne faudrait pas trop fouiller le passé et leurs implications, au moins comme informateurs, dans l'ancien appareil d'État policier, la Securitate. A Bucarest, les usines du régime communiste ont fermé et ont laissé la place à d'immenses terrains vagues qui excitent la spéculation. Partout on démolit et on reconstruit. Comment décrète-t-on qu'une maison est devenue insalubre et qu'elle doit être détruite? C'est très simple. On laisse des Tziganes s'y installer ou même on les incite à prendre possession du bâtiment. Et quand ils ont fini de brûler, de jeter ou de vendre tout ce qu'on peut brûler, jeter ou vendre, il ne reste plus qu'à les expulser."
Un regard extérieur vaut parfois mieux qu'un long discours.

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