samedi 5 septembre 2009

Le monde est grippé


Voilà que sont revenues les grandes épidémies. On est prêt à fermer les écoles, les salles de spectacle, les stades et même les églises, comme on l'a vu au Mexique. Certains médecins spécialistes estiment qu'il s'agit d'une maladie tout-à-fait banale, le plus souvent bénigne; d'autres sont plus alarmistes. Ce qui est vrai aussi c'est que les trusts pharmaceutiques se frottent les mains; en France, le ministre de la santé a commandé 94 millions de doses de vaccin. Il est bien difficile de savoir le degré de gravité de cette menace tant les gouvernements se servent de cette grippe pour faire valoir leur capacité à lutter contre ce fléau, leur intelligence à prévoir le nombre exact de vaccins et à communiquer courageusement sur les précautions à prendre. Mais surtout cette grippe est une bénédiction pour faire oublier le reste. «Écoutez, le chômage, les augmentations de salaire, on verra plus tard. Pour l'instant, nous luttons avec une vaillance sans pareille contre la GRIPPE!»
L'effet le plus important, c'est aussi de faire comprendre aux populations qu'il en est de la grippe comme de la crise. Elle vient mystérieusement. C'est quasiment mystique. On n'y peut rien. Personne n'est responsable. Ou plutôt tout le monde est coupable. C'est pourquoi nous arrivent ces punitions probablement divines. Bien sûr, les discours ne vont pas jusque là, mais tout est dans le sous-entendu. D'ailleurs, dans la Bible, Dieu n'est pas avare de calamités quand il est mécontent de ses créatures. L'idée est d'associer une épidémie avec la crise capitaliste de façon à faire cesser toute plainte, toute enquête sur la culpabilité des grands financiers. On en a mis un ou deux en prison, ceux qui ont été pris la main dans le sac, mais les autres profitent d'une protection d'autant plus sûre qu'il est désormais prouvé que la crise est internationale. Ce qui veut dire que les vrais responsables ont pris des pseudonymes.
Justement, je venais de lire une chronique espagnole intitulée : «La décision de ne plus faire de théâtre dans la ville de Pamplune à cause de la peste de Marseille (1721-1730)». Pamplune avait un grande tradition théâtrale depuis notamment 1608, date à laquelle on avait inauguré un vrai et beau théâtre. On sait par exemple que, d'abord programmées le dimanche, progressivement les pièces furent jouées presque tous les jours. On sait aussi que les plus grandes compagnies de l'époque venaient en tournée à Pamplune. La peste de Marseille étant aux portes de l'Espagne, la mairie de la ville décide donc de ne plus faire représenter de théâtre en 1721. Trois ans plus tard, sous l'impulsion des quartiers populaires, la municipalité prend acte de la moindre menace de la peste venant de Marseille et donne l'autorisation de reprendre les spectacles. Mais le clergé fait appel au pape Benoît XIII qui exige que l'interdiction soit maintenue expliquant que la peste est une punition méritée pour une cité qui avait accueilli des représentations de théâtre, cet art vulgaire qui détourne les bons chrétiens de l'église. Le pape s'indigne aussi du fait que les femmes étaient admises dans les salles de spectacle. Le roi et l'évêque font donc revenir la municipalité sur sa décision : Pamplune devait devenir une ville idéale, à l'inverse des autres cités espagnoles où l'on pouvait s'encanailler au théâtre, une ville qui allait servir d'exemple à toute la chrétienté. Il s'ensuit alors un conflit qui durera jusqu'en 1730, année qui verra le théâtre ouvrir de nouveau ses portes. Mais pour cela, il a fallu que les autres villes d'Espagne se solidarisent avec la ville privée de distraction dramatique; Madrid, Valence, Valladolid, Salamanque, Barcelone, Saragosse et Toledo apportent leur soutien à Pamplune. Ce qui est intéressant dans cette histoire, c'est que ce sont les quartiers populaires qui ont fini par l'emporter et que les autorités ont cédé après neuf ans de lutte. De plus, cette victoire contre l'obscurantisme a permis à Pamplune de prendre une grande autonomie par la suite et ne plus être soumis à l'autorité ecclésiastique. On ne dira jamais assez les conquêtes du théâtre sur le terrain des libertés publiques.
Donc derrière notre grippe existe peut-être un enjeu qui nous dépasse. Le pape actuel avait déjà le sida sous le bras. Peut-être Benoît XVI va-t-il expliquer que l'utilisation du mouchoir augmente les risques de se moucher, comme il nous explique avec un sérieux de pontife que le préservatif augmente les risque de contamination. Si vous faites l'amour sans procréer, c'est que vous êtes des chiens. Et attention, on le sait, Dieu reconnaîtra les chiens.

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