samedi 10 janvier 2009

Terrorisme, dit-il
Heureusement que j'étais en Roumanie en avril 2008! En effet, si je m'étais trouvé en France, il y a de bonnes raisons de penser que la police m'aurait arrêté au seul fait qu'une certaine presse m'avait déclaré anarchiste. Il n'en faut pas plus aujourd'hui pour être réveillé au petit matin par un commando masqué, accompagné par les médias bien en cour. Des actes de malveillance sont perpétués sur une voie ferrée et immédiatement les zélés policiers trouvent les coupables. Assistés de deux hélicoptères, 150 flics en grande tenue de combat ont ainsi investi une épicerie en Corrèze et ont arrêté de dangereux individus. Et tant pis s'ils ne sont pas les coupables. L'important est de bâtir un scénario dans lequel anarchie et terrorisme sont mélangés. Il est besoin de montrer du doigt un "chef" cruel et sanguinaire, cynique et sadique, qui veut mettre le territoire national à feu et à sang. Ce chef dirige bien entendu un groupe tapi dans l'ombre, secret, organisé, ayant des liens établis avec des groupes terroristes correspondant dans d'autres pays. Alors, aussitôt les journalistes qui ont besoin aussi de vivre et de pisser de la copie font des articles passionnants avec des révélations époustouflantes sur la vie privée et sur les habitudes alimentaires des suspects. Bref, tout concorde aux yeux du public : la police a arrêté des énergumènes que la presse et la télévision condamnent.
C'est exactement ce qu'il aurait pu m'arriver lors du dernier sommet de l'OTAN à Bucarest quand un journal national, "Gardianul", m'a décerné le titre de chef terroriste pour l'occasion. En fait, un des quatre chefs pour toute l'Europe de l'Est avec un Grec, un Bulgare et un Polonais. D'après le journal, dont les articles ont été repris dans d'autres médias européens, nous avions un plan pour perturber violemment le fameux sommet, des recettes pour mettre en déroute le dispositif policier, des complicités pour arriver jusqu'aux salons élégants où s'entretenaient les grands de ce monde et nous aurions poussé le crime jusqu'à faire des grimaces à Bush ou à Poutine.
La chance que j'ai eue, c'est que si les médias roumains ont bien fait leur travail, les autorités locales ont hésité un peu. Un policier est bien venu à l'Ateneu, mais il est arrivé d'un pas débonnaire, sans trop croire lui-même à toute cette histoire de grand sabotage international. Il m'a posé en souriant quelques questions et je lui ai montré ma blouse sur laquelle j'avais écrit : "anarchiste chef" et il est parti en se disant que finalement on pouvait passer de bons moments dans la police. Ce qui n'a pas empêché "Gardianul" de redoubler de d'agressivité dans ses accusations. Le lendemain, en effet, j'étais devenu le manipulateur de toutes les manifestations anti-OTAN. Le "journaliste chef" m'a interviewé par téléphone et il m'a demandé si je voulais vraiment détruire la Roumanie, je lui ai avoué que bien entendu la Roumanie faisait partie des pays à rayer de la carte, mais pas seulement puisque nous avions l'intention de détruire également les planètes Jupiter, Saturne et particulièrement Mercure que je détestais profondément pour des raisons personnelles. Je dois reconnaître que tous ces propos ont été retranscris fidèlement dans le journal en question en première page et en couleur, une grande marque de professionnalisme.
Mais deux jours sur Benoît Vitse, anarchiste chef, c'était bien suffisant. Alors pour maintenir le lecteur en haleine, le troisième jour, toujours en première page, le rédacteur chef révélait que j'avais trahi les anarchistes en les faisant venir à Bucarest et en prévenant la police. Peut-être, pensait-il qu'on allait me retrouver un couteau dans le dos avec un panneau autour du cou sur lequel serait écrit : « traître ». Le lendemain, alors que je commençais à m'amuser, j'avais complètement disparu du journal.
Néanmoins, rétrospectivement, je tremble à l'idée que tout cela aurait pu se produire en France. Je ne serais certainement pas en mesure de raconter ces aventures. Je devrais répondre de "direction d'une entreprise terroriste". De plus, les perquisitions auraient révélé que je lisais des livres, que j'avais des horaires de chemins de fer, que je n'ai pas de téléphone portable (le réseau ne passe pas dans mon village). Bref, exactement ce qu'on reproche aux anarchistes locaux :"Dans la ferme perquisitionnée, les policiers n'ont trouvé aucune bombe, aucun explosif, aucun fusil. Seulement des poules, des canards, des livres et des ordinateurs." Hou la la! C'est grave, c'est encore une fois exactement mon cas!
J'ai toujours pensé que l'humour roumain avait bien des vertus et aujourd'hui je ne peux que le vérifier. Un gag moldave se serait transformé en incarcération sarkozienne.

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