vendredi 13 novembre 2009

Etre sur la photo


Dans son blog, l'écrivain sévillan, Javier Marias, constate l'appétit des hommes politiques actuels pour les photographies. Bien sûr, il ne s'agit pas de n'importe quelle photos, mais celles où on peut les voir en « bonne compagnie ». En Espagne, comme ailleurs, le chic est d'être photographié avec Barak Obama. On sait que Sarkozy a fait aussi des pieds et des mains pour poser à côté du président américain. Il aurait aussi eu l'impression de récupérer un peu du prestige que l'on accorde au récent Prix Nobel de la Paix. Mais Marias ajoute :«En quoi cette fausse intimité avec des personnalités est-elle intéressante? Apporte-t-elle un surplus d'intelligence ou de vaillance? Est-ce que le prestige serait contagieux? Ces exhibitions ou trophées photographiques me paraissent d'une vulgarité absolue et dénotent une personnalité complexée, présomptueuse et naïve.» Il cite l'exemple d'un homme politique espagnol qui voulait vraiment poser avec Obama et, comme on lui a expliqué que ce président avait malheureusement autre chose à faire, il se consola en se faisant prendre en photo avec le gouverneur du Nouveau-Mexique. « Ces gesticulations sont le fait, écrit-il, de quelqu'un qui se considère lui-même comme de la merde. Et ce n'est pas bon qu'un homme qui a de grandes responsabilités politiques en Espagne ait de telles préoccupations. » Javier Marias dénonce aussi le ridicule des salles à manger où l'on voit le maître de maison posant, dans un cadre doré ou en argent, avec le pape, Bush, ou Berlusconi. Pour lui, c'est une faute de goût qui dénonce une médiocrité sans fond. C'est d'autant plus dérisoire qu'avec les progrès de la technique informatique, on peut vous voir sur internet entrain d'embrasser Marilyn Monroe ou jouer aux cartes avec Fidel Castro. Merci Photoshop!
Je me souviens d'un Conseiller Culturel de l'Ambassade de France à Kiev qui tenait à apparaître systématiquement en compagnie des artistes connus que nous recevions. Ainsi, il se glissait à côté du musicien Richard Galliano, qui se demanda d'ailleurs s'il ne faisait pas partie de la police politique du pays. Mais aussi à côté de Mireille Mathieu, que nous n'avions pas invitée, mais qui se trouvait en tournée en Ukraine. Il fallait absolument qu'il représente la France au bras de cette éternelle starlette de la chanson française. D'autant, ajoutait-il, qu'elle est la chanteuse préférée du président ukrainien. Il faut dire qu'il faisait partie de ces individus qui, avec leurs subordonnés, savent si bien joindre l'inutile au désagréable, mais qui sont d'une veulerie et d'une complaisance infinie en présence de l'ambassadeur. Il était, en outre, affligé de tics permanents. Je crois qu'il devait aimer les photographies parce que c'était le seul moment où son visage était au repos. Pour le reste, tout ce qu'il avait retenu de son apprentissage en diplomatie, c'est qu'il fallait commencer toutes les phrases par : « Vous ne craignez pas que... Vous n'avez pas peur que... » En effet, il était d'une telle prudence qu'il ne fallait jamais dire du mal de Staline ou de Hitler devant lui. « Vous ne craignez pas que cela indispose nos interlocuteurs? Vous n'avez pas peur que cela jette un froid? »
Aujourd'hui que n'importe quel téléphone portable se transforme en un instant en appareil photo, il est courant de voir des passants se précipiter sur une personne connue et lui dire :
- « Je vous ai reconnue! Vous permettez? Je voudrais tant être en photo avec vous! Je vous en prie! Je vous admire depuis que je suis tout petit! Et ma mère aussi! »
Le problème est qu'il faut une troisième personne pour réaliser le projet. Alors, le fanatique cherche quelqu'un dans la foule qui voudrait bien faire le photographe. Ce n'est pas si facile parce que tout le monde se méfie de tout le monde, et bien sûr chacun est pressé. On finit néanmoins par trouver un brave garçon qui veut bien se dévouer pour cette grande cause, mais il ne comprend pas le maniement de l'appareil. Il met en route les jeux et les musiques du portable. La vedette s'impatiente, mais garde son sourire qui est sa marque de fabrique. Après un cours rapide d'initiation au matériel moderne, enfin le photographe est prêt. Mais il faut aussi calculer la position du soleil et faire en sorte que personne ne passe devant les protagonistes. Et au moment où tout est en place, le téléphone sonne. Le temps de répondre à sa maman que c'est promis, qu'il n'oubliera pas d'acheter deux baguettes de pain et une livre de beurre, le malheureux ne peut que constater que son idole a disparu. Il prendra quand même en photo l'endroit où a eu lieu la rencontre. Mais pour cela il n'a plus besoin de personne et il congédie son photographe bénévole. Un peu plus tard, il racontera à ses copains qu'il a rencontré ce grand footballeur ou cet immense chanteur, mais personne ne le croira jamais. Même sa maman aura des doutes.

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