vendredi 3 juillet 2009

L’ambassadeur (première partie)


Il y a vraiment des métiers où il n’y a rien à foutre : ambassadeur, par exemple. Ambassadeur du Paraguay au Lesotho, ben, qu’est-ce qu’il y a à faire ? Rien ! Faut juste y aller. Alors, on emmène la femme et les autres tableaux, le piano, des bibelots un peu lourds pour que les porteurs n’aient pas l’impression de déménager un simple consul. Et puis, c’est tout.
Bon, bien sûr, une fois sur place, faut s’intéresser un peu, lire le journal. Dès fois le pays change un peu brutalement de gouvernement. Alors, il faut aller prendre le thé avec le nouveau, dire poliment au revoir à l’ancien … Mais bon, tout ça, c’est pas du boulot, c’est de la gesticulation. C’est comme Ricky Martin si vous voulez. Bon, Ricky Martin, il bouge un peu plus ; mais il est plus jeune aussi.
En plus, c’est des ambassadeurs qu’on oublie facilement. Quand ça change de régime au Paraguay, on vire l’ambassadeur du Paraguay à Washington, à Londres, à Paris si c’est vraiment un changement radical. Mais à Maseru –oui, c’est la capitale du Lesotho-, à Maseru, on ne change pas. Vous vous rendez compte, s’il fallait changer tous les … Alors, le type est tranquille. D’ailleurs, en général, il n’a aucune raison de s’inquiéter. Dans le précédent gouvernement, c’était son cousin qui était Premier ministre, maintenant que tout à radicalement changé au Paraguay, c’est son oncle qui est ministre des armées. Pourquoi voulez-vous qu’il angoisse ?
Bon, vous me direz, le Lesotho, faut encore y aller. Mais, en fait, même pas ! Vous y allez un peu comme ça au début, pour dire d’occuper l’ambassade, pour éviter les squatters. Et puis après, vous laissez un bodygard avec du manger pour le chat et avec comme consigne d’allumer le hall de temps en temps. Qui va savoir que l’ambassadeur du Paraguay au Lesotho n’est pas là ? Qui va s’intéresser à ça ?
Et puis alors, vous avez une femme qui fait épouse de l’ambassadeur du Paraguay au Lesotho. Tous les matins, elle se lève et elle peut se dire fièrement en se regardant dans le miroir : J’ai peut-être l’air un peu défraîchie comme ça au saut du lit, en charentaises africaines, n’empêche que je suis la femme de l’ambassadeur du Paraguay au … Comment est-ce que ça s’appelle déjà ici ? c’est pas le Rizotto, la Macédoine …Et je n’ai qu’à pousser la porte et passer la tête avec mes bigoudis orange et le garde de garde se mettra au garde-à-moi. Que c’est beau un garde mobile immobile ! A l’âge qu’il a maintenant, mon mari ne fera pas plus haut, mais c’est quand même pas mal. Ici, la vie est spéciale, mais tout le monde est gentil. Alors que jusqu’ici, c’était l’inverse. J’ai toujours pensé que la vie avait été gentille avec moi, mais que les gens étaient plutôt spéciaux, si vous voyez ce que je veux dire. Enfin, on a quand même eu quelques soucis depuis qu’on est arrivés : une roulette du piano s’est bloquée dans le déménagement. Mais alors, bloquée-bloquée !Et moi, s’il y a un truc que je déteste dans la vie, c’est une roulette qui se bloque ! D’autres détestent la famine ou les moustiques, mais ça, moi, ça ne me fait rien. Tandis qu’une roulette de piano qui se bloque, ça me fiche la journée en l’air. Surtout que mon mari n’est pas bricoleur, et que pour trouver au Lesotho –ça y est, j’ai retrouvé le nom : Lesotho ! Il faut que je le note, parce que quand même… Et bien, pour trouver au Lesotho un dépanneur de roulettes de piano Herman… Alors, évidemment, ils ont poussé le piano avec la roulette bloquée. Total, maintenant c’est le parquet qui est rayé. Oui, mais dites donc, on n’est pas chez nous. Et d’ici ce qu’on dise que mon mari a des dents à rayer le parquet, surtout à son âge et avec son dentier.

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