samedi 7 mars 2009


En Martinique, le carnaval fait place à la révolution.

Cela tient presque du rituel. Tous les matins, je prends le bateau pour me rendre à Fort-de-France. Plus d'essence, pas d'autres moyens pour circuler. Le premier rendez-vous était toujours face à l'Atrium, immense centre culturel dirigé par Manuel Césaire, le petit fils d'Aimé Césaire. Pour ce faire, je traverse une ville morte, pas un commerce ouvert, pas une station d'essence en service. Tous les rideaux de fer baissés depuis des semaines. A l'Atrium, le collectif des artistes se réunit et les discussions sur le rôle de l'artiste dans la société prennent une bonne place.
Puis, nous allons à la Maison des Syndicats. D'abord, on s'informe sur les dernières négociations, les incidents de la nuit, le programme du jour. Des ateliers pour enfants y sont également organisés. Souvent un membre du Collectif du 5 février (jour du déclenchement de la grève générale) prend la parole et donne les informations importantes de la journée : les villes où auront lieu les meetings, les soutiens reçus de France Métropolitaine et d'ailleurs.
Puis la manifestation se met en route. D'abord marchent les délégués du Collectif, suivis des troupes de tous les syndicats qui soutiennent le mouvement. Cela fait du monde. Des caricatures de Sarkozy agrémentent le parcours. C'est une marée rouge qui déferle sur Fort-de-France, puisque nous portons tous le même tricot avec ce slogan : "C'est pour la victoire que nous marchons!" Tous les âges et toutes les professions sont présents. Parfois, suit une vague blanche avec cette pancarte ;"Jésus est la solution". Beaucoup, à la vue de cette cohorte chrétienne, sont amusés, mais se disent que ce n'est pas dérangeant puisqu'ils font encore grossir la manifestation. Immédiatement après, le 19 février, suivait une délégation exclusivement composée de femmes qui brandissaient un drapeau de la République Dominicaine. On m'explique que ce sont des prostituées de Saint-Domingue, très nombreuses en Martinique. En général, les artistes ferment la marche avec notamment ces slogans :"Contre les manipulateurs!" "Terminons avec les égos."
La population soutient largement, cela se voit au nombre des manifestants qui sont des dizaines de milliers, cela s'entend à chaque coin de rue, parce qu'il faut bien comprendre aussi que la parole est libérée. Je suis très impressionné par la qualité, le calme, la sérénité, la détermination de cette masse de gens si différents. Bien sûr, certains commerçants ne sont pas ravis d'être fermés depuis un mois, mais la plupart sont quand même solidaires. Il en est de même pour les petits entrepreneurs. Avec les grandes surfaces, les hypermarchés, bien entendu, c'est plus difficile. Il faut organiser des barrages pour les obliger à fermer. Mais de toute façon, tout le personnel est gréviste.
Nous allons ensuite en cortège jusqu'à la Préfecture pour y accompagner les délégués du Collectif et les soutenir dans les négociations avec le patronat. "Pa ni moli!" (Ne cédez pas!") chante la foule chaque jour plus déterminée. On se presse aux grilles du bâtiment avec musiques et chants. Même les gendarmes, qui gardent la Préfecture, se balancent au rythme des percussions. Les délégués sont applaudis, les membres du patronat local fraîchement accueillis et parfois empêchés de sortir de la Préfecture pour qu'ils continuent bon gré mal gré les négociations.
Ne nous y trompons pas. Il ne s'agit pas là d'une simple révolte, d'un mouvement d'humeur. C'est vrai qu'à l'origine, tout est parti, aussi bien en Guadeloupe qu'en Martinique, d'une manifestation contre la vie chère et pour la hausse des salaires. Né d'une mobilisation de type syndical sur le pouvoir d'achat, l'emploi et la reconnaissance du fait syndical martiniquais, la grève générale s'est transformée en lutte populaire bien plus large. Les hommes politiques «traditionnels» sont écartés du débat, n'ayant au mieux qu'un rôle d'observateur. Aujourd'hui nous sommes en présence d'un processus révolutionnaire. Je n'en veux pour preuve que ces quelques lignes extraites d'un texte remis aux manifestants : «Février 2009 ne nous convie pas au toilettage du corps putréfié de notre statut de département français pour une nouvelle ronde macabre des zombis. Il nous exhorte, au contraire, à enterrer au plus vite le cadavre et à assumer l'avenir en liberté et en lucidité». Là-bas, rien ne sera plus comme avant. A nous tous d'en prendre conscience.

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