vendredi 2 juillet 2010

J'ai perdu un pays dans un verre d'eau

photographie de Guillaume Robert

A Lucian Vasiliu

Le pays s'est dissous sans mot dire.
Je n'ai pas bu l'eau troublée.
J'ai levé le verre devant la fenêtre.
Dans le liquide qui n'était plus de l'eau
s'agitaient des formes étranges,
mais pas du tout étrangères.
Une odeur, un parfum de Roumanie...
La tête me tournait délicatement.
Une poussière se formait à la surface,
la même poussière que j'ai encore
dans les cheveux et les sourcils.
Puis l'odeur se fit âcre, farouche.
Le verre faillit m'échapper des doigts.
A travers le liquide brouillé, un pope,
une fille nue souriant à un peintre naïf,
une fanfare sur un quai de gare,
des chevaux tirés par des carrioles
et un théâtre de quartier assiégé.
Un cri venait de l'intérieur du mur.
Les oreilles me faisaient mal.
le verre me coupait la main,
les visions me tiraient des larmes.
Monastères hantés et hantise des moines.
Des enfants de la rue, pas même tziganes,
s'abandonnaient dans les égouts.
Tout semblait perdu, définitivement.
Comme un œuf que la poule suicide
par lassitude et par caprice
et qui éclate, éclabousse les bottes
du paysan jamais rassasié.
Plus rien de solide dans le liquide,
et plus de poète pour m'expliquer
pourquoi la nuit était tombée si vite.

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